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Bienvenue dans un monde merveilleux qui n'est pas le votre...
6 février 2006

Paris, 1979

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   Sarah s'éveilla en sursaut. Son visage en sueur, ses cauchemars ne la lâchaient plus... Voilà trois semaines qu'elle ne pouvait fermer l'oeil de la nuit. La jeune femme chercha du regard le cadran lumineux du réveil. Cinq heures du matin. Impossible de se rendormir, maintenant...
    Elle se dirigea vers la salle de bain et se déshabilla. En sortant de la douche, elle se dévisagea un instant dans le miroir de la minuscule pièce. Les nuits blanches avaient peu à peu strié ses yeux de sang et sa peau était parcheminée.
    Elle avala une grande tasse de café bien corsé - sa quinzième en deux jours -, se jeta dans un fauteuil aussi laid que miteux et alluma la petite télévision qui avait perdu la couleur depuis bien longtemps. Après la retransmission d'une émission bidon où le petit présentateur en cravate orange posait des questions stupides à des candidats survoltés, une petite dame brune apparut à l'écran et présenta la météo du jour.
    "Pluie et orage sur Paris, répéta Sara d'une vois maussade, manquait plus qu'ça..."
    Vint ensuite une femme grassouillette à lunette, qui entreprit de préparer en direct un poulet basquaise à la Mérovingienne, ce qui décida définitivement Sarah à partir au bureau. Elle éteignit la télé, attrapa son vieux manteau et sorti sur le palier. Alors elle se rappela qu'il était seulement six heures...

    Elle ferma néanmoins la porte de son appartement pourri et se lança dans les escaliers, l'ascenseur n'étant plus très fonctionnel... Une fois dehors, elle erra quelques minutes le long du boulevard, sans savoir où aller... La pluie d'automne tombait toujours, sans interruption depuis plus de trois jours... Après avoir fait trois fois le tour du quartier, elle s’engouffra dans une bouche de métro et monta dans la première rame.

   « Rue du quatre septembre, répéta la voix mécanique s’échappant du haut parleur, tandis que Sarah descendait sur le quai, déjà bondé ». La jeune femme se fraya un chemin parmi les mendiants, les sondeurs et les sectaires, et gagna la surface et l’air frais. Ici, les costumes taillés côtoyaient les jeans troués, et les cheveux longs se mêlaient aux crânes rasés. Un formidable échantillon de la population parisienne, du plus stricte au plus excentrique, grouillait, fourmillait, s’agitait sous le crachin de l’aube automnale.

    Sarah avisa un tabac ouvert, commanda un café – son seizième en deux jours, vous suivez ? – et s’assit dans un coin. A quelques tables de là, un homme d’une trentaine d’années lisait le Parisien.Le visage basané,  les traits doux et les yeux sombres, il était tout à fait le genre de mec qui plaisait à Sarah… Elle l’observa discrètement, tout en vidant tranquillement sa tasse. Celui-ci semblait tendu, mal à l’aise. Toutes les deux minutes, il quittait son journal pour jeter un coup d’œil au dehors… La jeune femme, curieuse, commanda un deuxième café et un Kit-Kat pour continuer à l’observer. Attendait-il quelqu’un ?, se demanda-t-elle tandis que le portable de l’inconnu se mit à sonner. Pourtant, celui-ci ne décrocha pas. Il fixait la table ou se trouvait le cellulaire, sans réagir. Emporté par la curiosité, Sarah lui lança :

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« Vous ne répondez pas ?... »

L’homme se tourna vers elle, la fixant intensément, perçant son regard… Puis, après quelques secondes d’hésitation, il marmonna :

« Ce n’est pas à moi. Quelqu’un a dû l’oublier là.

- Vous devriez répondre, c’est peut-être important ? », suggéra la jeune femme.

L’inconnu la pénétra du regard, ce qui la fit rougir et regretter instantanément sa curiosité. Après quelques minutes, il décrocha lentement… Puis, sans avoir prononcé un mot, il dit à Sarah:
«C'est pour vous...

- Comment, pour moi, s'étrangla Sarah, renversant la moitié de son café sur la table... Vous... Vous êtes sûr ?

- Absolument certain. Une femme brune, aux yeux bleus et avec de nattes, vous en voyez beaucoup dans cette pièce ?»

L'homme lui tendit le téléphone noir et Sarah bégueya:

«Allo ?...

- Bonjour Sarah, répondit une voix masculine, très grave, presque rauque. J'aimerai beaucoup que tu sortes de ce tabac, j'ai quelque chose à te montrer...

- Qui êtes-vous ? demanda Sarah, sur la défensive.

- Je te le dirai si tu sors de là.»

La jeune femme jeta un regard autour d'elle. Personne ne semblait l'observer, ni avoir remarqué son air inquiet... Son voisin avait reprit la lecture de son journal.

« Très bien, je viens, dit-elle en prenant la direction de la porte vitrée.

- Ton sac, Sarah... avertit la voix à l'autre bout du fil »

En effet, elle avait oublié son sac à main rouge sur sa chaise. Elle fit demi-tour et reprit pocession de son bien. Elle jeta un regard furtif au lecteur du Parisien, qui semblait à présent parfaitement calme et qui ne fit pas attention à elle. Une fois dehors, la voix reprit :

« Parfait. Maintenant, prend le premier métro pour Félix Faure. Rappelle moi quand tu y es.

- Attendez..., lança Sara, mais l'inconnu avait raccroché. Comment je vais faire pour vous rappeler ? fini-t-elle pour elle-même »

Alors, sans hésiter, sans se poser trop de questions non plus, elle fourra le cellulaire dans son sac et s'engouffra de nouveau dans la station... De nouveau, la foule, la cohue. De nouveau, les visages étrangers, de la jeune mère de famille inquiète avec ses enfants, au grand-père conservateur et raciste en passant par le teenager complétement shouté et les fillettes surexcitées et tout de rose vêtues.

Une fois sur les trottoires de l'avenue Felix Faure, Sarah sortit le téléphone noir et fouilla dans le répertoire. Un seul numéro était en mémoire, il portait le nom de Eliott. Elle l'appela. Après une unique sonnerie, l'homme mystérieux décrocha a nouveau. Avant même qu'elle ait pu dire un mot, il dit :

« Sarah, tu dois me faire confiance. Tu vois la BMW noire garée à quelques pas de toi, sur ta droite ?

- Attendez... Oui, je la vois...

- Monte à bord. Dit que tu viens de ma part, le chauffeur saura quoi faire. Quand tu seras arrivée, repère le bar "Au coin des buveurs attristés", et monte à l'étage. Ne te fais pas repérer. Entre dans la première pièce à droite. Ne te fais pas repérer. Je t'y attends. »

A nouveau, la ligne fut coupée et Sarah se retrouva seule. Sans hésiter cette sois-ci, elle ouvrit la porte arrière, jeta un regard sur la rue grise qui s'étendait derrière elle, s'assit sur la banquette impeccable et claqua la porte. Le chauffeur ne bougea pas. Il se contenta de scruter Sarah dans le rétro, derrière ses lunettes rondes et oppaques. Seules les éternelles gouttes qui s'abattaient sur le pare-brise rompaient le silence. Finalement, il lança, en démarant :

« Alors c'est vous, enfin ...

- C'est moi quoi ?... »

Mais seul le doux ronflement du moteur lui répondit, accompagné des habituels klaxon parisiens. La voiture de luxe sillonait à présent les artères de notre capitale, longeant de haut bâtiments et glissant sur le bitume trempé. Après dix minutes de route, l'homme n'avait pas jeté un seul regard à Sarah. Celle-ci, extenuée par ses nuits blanches, commencait à s'endormir en voyant le paysage danser tranquilement autour d'elle. Pourtant, à l'arrêt d'un feu rouge, il lui dit :

« Quel temps de merde, n'est-ce pas ?... »

Celle-ci, tirée de son demi-sommeil, bégaya :

« Je vous demande pardon ?...

- Le temps, répondit-il en montrant le ciel d'un vague geste de la main.

- Vous travaillez pour Eliott depuis longtemps ? demanda-t-elle avec l'idée d'en savoir plus sur ce qui lui arrivait.

- Il paraît qu'on en a encore pour cinq jours au moins, ils l'ont dit à la radio.

- Comment ?...

- La pluie, ca devrait durer encore cinq jours au minimum.

- Ah... Dites, c'est une manie chez vous de ne pas répondre aux questions qu'on vous pose ?

- Il paraît que la Seine n'a jamais été aussi haute. Moi je n'y crois pas.

- Vous vous fouttez de moi ? s'exclama Sara, perdant patience

- Oh non, c'est dans le journal. Près de 14 mètres cinquante au plus profond... Du jamais vu. »

Le feu repassa au vert, et Sarah reposa la tête contre la vitre, renonçant à interroger l'homme étrange. Très vite, elle se perdit dans un pays immaginaire et se vit avec une robe bleue, suivant un lapin blanc qui portait une très, très grosse montre, courant sur une colline verdoyante peuplée de cartes à jouer et de champignons géants... (comment ça je l'ai piqué quelque part ce rêve ?)  Elle fut réveillée par la voix du chauffeur qui lui disait :

« Ne vous faites pas repérer Sarah, surtout soyez discrète. Ca fait quinze ans.

- Quinze ans quoi ?...

- J'ai rencontré Eliott il y'a quinze ans jours pour jours. Ou peut être pas. Prenez ce parapluie, il pleut toujours. Je vous revoie bientôt je pense. »

Sarah mit quelques longues secondes à tout assimiler, saisit le parapluie que lui tendait l'homme, et sortit dans la tempête. La BMW s'évanouit rapidement dans Paris.

Sarah avisa le bar en question. A l'allure, on aurait plutôt dit une auberge, si la pancarte n'avait pas indiqué en grosses lettres majuscules, pour les gens qui ne l'aurait pas remarqué : BAR PAS CHER... Adjectif inutile, puisque la vitrine était brisée, la façade délabrée, et la clientèle usagée. La jeune femme contempla le tout d'une étrange manière avant d'entrer. Des volutes de fumées lui irritèrent immédiatement la gorge. Accoudé au bar, quelques fumeurs déversaient de leurs poumons des litres de tabac made in China, tandis qu'un homme aux dents prohéminentes et aux lunettes rondes grattait son millionaire, comme tous les midis depuis quinze ans. Le vieux barman qui essuyait de grands verres qui avaient plus de douze morts a leur actif s'adressa à Sarah, d'un ton neutre :

« J'vous sers quelque chose ?

- Un jus d'abricot si vous avez...

- J'ai pas.

- Quel bar de merde...

- Si ça vous plaît pas, allez voir ailleurs...

- Dites moi juste où sont les toilettes.

- J'vous emmerde ma p'tite dame. Pas de consommation, pas de toilettes. »

"Je dois rester discrète", pensa Sarah. Elle sorti de son sac à main un billet qu'elle déposa sur le comptoir. Le barman fixa le morceau de papier et dit ironiquement :

« Vous, quand vous avez envie... A l'étage, troisième porte à droite.

- C'est très aimable à vous »

Elle lui lança un regard noir et fit mine de se diriger dans la direction indiquée par le vieil hommme. Mais quand celui-ci fut occupé à autre chose, elle revint au comptoir et glissa le billet dans sa poche, avant de se faufiler discrètement dans les escaliers sombres...

Les escaliers menaient à un palier plutôt étroit, tapissé de rouge sombre et éclairé par une unique lampe type casino. Sarah frappa à la première pièce à droite, comme le lui avait indiqué Eliott. Aussitôt la porte s'ouvrit, un homme la saisit brusquement, la fit rentrer et lui plaqua violemment un tampon d'ether sur le visage. La jeune femme eût à peine le temps de saisir dans le visage de l'homme un impalpable soupçon de déjà vu, avant de sombrer dans le néant...

Au même istant, dans l'immeuble voisinlespaul

« On la refait! C'était pas mal... Chris, tu commences ?

- Attend je finis mon BN !!

- Chris t'es qu'une pauv' tâche...

- T'a quoi cont' les BN ?

- J'en ai rien à fouttre de tes gâteaux de merde je veux juste que tu bosses ta putain de basse... et que t'arrête de fouttre des miettes sur mon ampli, bordel !!

- C'est bon Matt, t'énerve pas. Et toi Chris, avalle moi ce BN enrichi aux huiles essentielles ou je te l'mets ou j'pense...

- En protéines fondamentales ! Enrichi en protéines fondamentales ! Il paraît que tu peux perdre dix kilos en quelques semaines...

- Et pour allumer ton ampli il va te falloir quelques semaines... ? Tu nous passes un coup de fil quand t'es prêt ?

- C'est bon, je m'y mets...»

Immaginez  un appart' standard, dans un salon tout ce qu'il y'a de plus banal... si l'on enlève les posters rock qui recouvrent chaque centimètre carré de mur, les partitions qui volent dans toute la pièce, la table renversée dans un coin pour laisser la place aux trois énormes amplis 100 watts, les guitares qui traînent un peu partout... et quatre ou cinq douzaines de paquets de BN.

Au fond de la pièce, il y avait un pianiste. Ses doigts longs parcouraient les touches d'ivoire avec une agilité et une douceur surprenantes. Les aigues se mêlaient aux graves avec harmonie. Les yeux fermés, le visages détendu, il alternait avec une parfaite rigueur les passages mélodieux et les plus puissantes mesures. Ses amis musiciens l'accompagnaient, la basse règlant les battements du coeur et les ondes électriques des guitares frappant délicatement les tympans...

« Bon les gars moi j'y vais... On se voit demain ? Faut qu'on s'entraîne tous les jours si on veut être bons pour ce week-end...

- Ca marche Jeff.

- A plus mec !

- T'ammènes le goûter demain ?

- Chris...»

Celui que les autres avaient appelé Jeff ouvrit la porte du petit appart', sa guitare accoutique à la main, laissant les autres continuer sans lui. L'atmosphère lui paru bien calme sur le palier, bien que les ondes assourdies de ses copains l'atteignaient encore...

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    Des formes imparfaites et des contours qui se fondent. Les paupières qui se relèvent très doucement. Puis, peu à peu, les formes se précisent et l'image redevient plus nette. Sarah était seule, solidement attachée à une chaise, au milieu d'une grande pièce dégarnie. La jeune femme annalysa la situation. Ses ravisseurs l'avaient patiemment attirée dans ce piège, et avaient pris la peine de la ligoter sans la blesser, il lui paraissait donc évident qu'ils avaient besoin d'elle... Mais pourquoi ?

   Sarah n'avait pas d'amis, et plus de famille depuis longtemps, personne à qui réclamer une rançon. Dailleurs, elle ne pouvait elle-même rien apporter à ses ravisseurs puisqu'elle ne possédait pas un rond... Alors qu'est-ce qu'elle pouvait bien fouttre ici ?

Elle fut interrompu dans ses réflexions par un bruit dans son dos. Quelqu'un remuait dans la pièce, quelqu'un qui se débattait.

« Qui est là ?»

Pas de réponse... Mais les mouvements avaient cessé. Elle parla plus fermement:

« Vous allez répondre! Qui est derrière moi ?

- Vous avez vu, il pleut toujours...»

Sarah avait reconnu la voix énigmatique du chauffeur de la voiture noire. Même attaché, il conservait cet air calme et posé, mais légèrement songeur. Avant qu'elle aie pu ajouter un mot, il s'exclama:

« Je vais pouvoir nous déttacher en quelques minutes, ces cons savent pas faire les noeuds !

- Vous n'êtes pas des leurs ?

- Vous en doutiez ?

- Je ne sais pas, je ne suis plus sûre de rien.

- Parcque vous avez déjà été sûre de quelque chose ?

- Je crois que vous vous posez trop de questions...

- Mais vous n'en êtes pas sûre !!

- Dépêchez-vous de vous détacher au lieu de jouer sur les mots

- C'est déjà fait. Et arrêtez de râler sinon j'vous laisse ici, avec eux.

- Chut!! Quelqu'un vient...»

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Commentaires
D
Humpf, c'est pas que j'attend la suite, mais presque, HEIN mon ti tomas ?? grrrrrrrrrrrrrr!!! allez continue !! s'il te plait *tete d'ange* rien que pour le GRUIIIIIK de KOPAIN !!! s'il te plaiiiiiiiiiiiiit !!!
D
mon ptit touma, il serai temps que tu continus ta ptite histoire!
D
je suis fort confuse de mettre deux fois le même commentaire, mais j'ai eu comme qui dirait un petit soucis de manipulation.<br /> Donc je voulais dire que j'adore ton histoire et j'ai trop envie de connaitre la suite !<br /> ah oui aussi, la rubrique "titre" me soule, je sais jamais quoi mettre dedans, on peut pas la virer?
T
Juste parce que la photo (la 2e) elle me rappelle le film "Un monde sans pitié" (Paris, années 80). A part ça l'histoire elle est très bien et ton blog aussi.
D
tu devrais la continuer cette histoire parcequ'elle a l'air vraiment geniale !!! franchement continue la stp mon ti tomas !
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